Actes du séminaire et colloque des architectes-conseils de l'État
SEMINAIRE DES ARCHITECTES-CONSEILS DE L'ETAT A BARCELONE DU 14 AU 17 OCTOBRE 2021 / COLLOQUE A BOBIGNY LE 22 MARS 2022 / EN PARTENARIAT AVEC LE MINISTERE DE La transition écologique et solidaire, le ministère de la Culture et la Ville de Barcelone

L’ARCHITECTURE ET L’URBANISME POUR ÉMANCIPER, DÉPASSER LES INJUSTICES ET REDONNER DU COURAGE

Cet ouvrage "On vit ensemble ?" est le 26e de la série Conseils restituant la teneur des séminaires des architectes-conseils de l'État. Il est consacré au séminaire et au colloque qui se sont déroulés à Barcelone en 2021 et à Bobigny le 8 mars 2022.

Les architectes-conseils de l'État forment un groupe singulier auprès des différents services des ministères (Transition écologique, Cohésion des territoires, Culture. Ils sont regroupés en association et Hélène Reinhard en a assuré la présidence en 2021).

 

Les grandes mégalopoles du 21è siècle sont parfois perçues très négativement, qualifiées d’être ingouvernables, chaotiques, le siège de désordres et d’inégalités, des monstres qui ne cessent de s’étendre sans jamais répondre aux besoins de leurs habitants. Une jungle.

 

Cette perception, les grandes villes occidentales s’en sont plutôt prémunies jusqu’à aujourd’hui, grâce à une existence ancienne, beaucoup d’investissements publics, une croissance contrôlée et une forte règlementation. Cependant, la pression d’un monde dont la métamorphose se précipite – pour le dire rapidement, sous la double influence d’un changement climatique trop rapide et d’un capitalisme mondialisé et immatériel – font douter de la pérennité d’un tel modèle et déjà les coutures craquent. De fait, les défis que doivent désormais relever les territoires occidentaux, métropolitains comme ruraux, par leur important facteur de déstabilisation et leur dimension croissante, méritent d’être considérés sans timidité, afin que se dessine une approche de l’urbanisme favorisant la résilience. Barcelone, en pionnière, peut nous apporter un éclairage et nous inspirer.

 

Les villes occidentales du 21ème siècle face à leurs défis

Inutile de s’étendre trop longuement sur des défis qui sont bien connus des parties prenantes à l’urbanisme. La nécessité de loger toujours plus de personnes, accentuée par l’arrivée de populations démunies, parfois massivement, est le premier facteur de stress des grandes villes. Croître parait parfois inévitable, mais de quelle manière ? Car le nouveau paradigme induit par la prise de conscience du formidable pouvoir de transformation de la nature par l’homme, et ses conséquences sur le changement climatique et la biodiversité, réduisent les possibilités et interdisent bien des solutions qui ont été jusque-là privilégiées.

 

Comment accueillir tout en préservant une qualité de vie qui distingue encore les villes et villages occidentaux de leurs homologues plus récents, dont la croissance est exponentielle ? Cette qualité de vie qui prend la forme d’une sécurité déjà fragile, d’une identité culturelle dont certains craignent qu’elle ne disparaisse, d’un lien social qu’on cherche déjà à recréer tant il est menacé par une vision productiviste et consumériste de l’humain. Les habitants en quête de lien, de justice, de sens, de nature au-delà de l’humain, pourront-ils trouver cela dans nos grandes villes européennes passé ce quart de 21è siècle ?

 

Un urbanisme souple

Il n’y a pas de solution qui s’imposerait avec évidence, d’autant que ces défis comportent des paradoxes et que des choix favorisant la réponse à l’un d’entre eux peuvent aggraver tel autre. Ainsi l’urgence climatique ou un besoin de logements parait s’opposer à la lenteur démocratique ; la recherche de cohésion entre apparemment en contradiction avec l’accueil de l’extérieur ; la nécessité d’un regard holistique semble incompatible avec les intérêts très concrets d’une communauté d’habitants de quartier.

 

Pourtant, une certaine approche de ces questions peut favoriser l’émergence de réponses vertueuses. Il s’agirait de travailler d’une part plus collectivement – avec confiance, souplesse – et d’autre part de lâcher-prise sur certains fonctionnements qui – s’ils ont permis à ces territoires de conserver le contrôle jusqu’à aujourd’hui – risquent d’être dépassés et que ce dépassement se fasse dans la douleur, voire une certaine forme de violence. Faire confiance c’est d’abord faire confiance aux citoyens, par la participation démocratique aux prises de décisions mais aussi par l’ouverture de la gestion des équipements publics à des structures associatives d’habitants. Échapper à la dichotomie public/privé et introduire plus directement les riverains et usagers.

 

Certes, l’exercice de la démocratie a des lenteurs que l’urgence d’agir ne peut se permettre. C’est pourquoi la question n’est pas dogmatique mais pragmatique et holistique : certaines questions trouveront des solutions au sein de la population, d’autres devront voir privilégiées des institutions publiques inspirées des meilleures initiatives privées, d’autres encore seront mieux traitées si elles font l’objet d’une négociation tripartite.

Ce dont il faut sortir, c’est de la défection des pouvoirs publics – faute de moyens, faute de temps ou par intérêt politique – au profit d’une urbanisation privée à forte tendance néolibérale, écartant les premiers concernés de la discussion. Allier la hiérarchie à l’autonomie communautaire, selon les questions abordées. Le sujet de l’informel devient également inévitable : si l’on veut éviter les bidonvilles, la ville doit s’emparer de l’informel et renoncer à le faire refluer hors de ses frontières floues. Le travail de la rue, les habitats précaires, si l’on ne veut pas que la violence – des habitants ou de l’État – en soit la seule réponse, il va s’agir de l’aborder avec sérénité.

 

C’est aussi la question de la production (agricole, industrielle, tertiaire, culturelle) dans les territoires qui doit être reconsidérée : créatrice de sens et de sociabilité, elle a été éloignée puis délocalisée pour des raisons qui peuvent trouver d’autres solutions aujourd’hui. En bref, il s’agit de penser des villes et des villages avec un cadre qui soutient plus qu’il ne contraint. Une ville qui cherche à éduquer la population à la complexité de son environnement urbain et à la différence, qui cherche à la faire monter en puissance politique pour s’appuyer vraiment sur elle face aux défis majeurs qui se présentent.

 

Barcelona : ville pionniere

 

Barcelone, tout le monde la connait déjà, mais peut-être pas sous l’aspect de l’une des villes européennes les plus avant-gardistes en termes d’urbanisme participatif. Pionnière dans la réflexion sur le commun, la communauté et l’auto-organisation, la gouvernance urbaine, Barcelone est aussi une ville foisonnante en termes d’architecture et d’aménagement de l’espace public. Elle a certainement beaucoup à nous enseigner sur le moyen de favoriser la cohésion sociale par l’urbanisme. Avec 3 à 4 fois plus de touristes que d’habitants, la ville pourrait n’être qu’un enfer de gentrification et de privatisation. Pourtant, depuis la fin du franquisme, la « Mecque de l’urbanisme », la ville ouverte sur le monde qui se reconstruit constamment sur elle-même, est aussi le siège de la résistance. Résistance à la logique intégratrice de Madrid, à la disparition de son patrimoine culturel, à l’abandon du pouvoir de décider de ses habitants. Un certain idéal démocratique anime et agite l’urbanisme barcelonais depuis des décennies et lui permet de trouver des solutions innovantes. Bien que peu soumise encore à l’afflux de populations migrantes, Barcelone peut inspirer sur l’usage des communs. Conçus comme biens et services mais aussi comme mécanismes d’auto-organisation – les communs sont une arme de lutte contre l’urbanisme néolibéral et sa logique de rendement, qui ignore celle pourtant primordiale de faire société. A l’échelle d’un quartier, d’une copropriété, d’un équipement public partagé, la culture historique de revendication au droit à la ville de sa population pousse la municipalité de Barcelone à promouvoir les collaborations publiques-communautaires et à faire confiance aux initiatives d’économie sociale et solidaire, dont les finalités font obstacle à la puissance marchande promotrice. Nul doute que la profusion des expériences qui ont eu lieu depuis 45 ans dans ce laboratoire qu’est la capitale catalane, ainsi que les enseignements que ses parties prenantes en ont tirés, seront de précieux enseignements pour nous et alimenteront notre réflexion thématique avec richesse.

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Au coeur du quartier de Sants, l'ancienne usine Can Batlo transformée en tiers-lieu, suite à des luttes des riverains pour conserver la bâtiment, avec la coopérative La Borda, projet des architectes Lacol.

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Ancienne usine Fabra i Coats dans le quartier de Sant Andreu, transformée en lieu culturel par la Ville de Barcelone

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Conférence de clôture : "L'architecture pour retrouver du sens" par Hélène Reinhard